En octobre 1990 paraissait un court essai d'Ishida intitulé Les Doctrines des six maîtres étaient-elles vraies ? C'était sa dernière œuvre et elle semble d'ailleurs incomplète. Rappelons qu'il devait mourir un peu plus d“un an après cette publication et que son état de santé était dégradé.

Pourtant ce petit fascicule semble bien être une forme de testament en ce sens où il fournit une analyse les causes de la dégénérescence des mouvements qui se réclament de la tradition nichireniste. Identifier clairement ces causes c“est déjà permettre d“entrevoir une solution. Et celle-ci est forcément un changement de paradigme, de manière de penser. La définition de cette autre manière de penser, Ishida la décrit bien, il s'agit de prendre conscience des différences fondamentales entre la représentation du monde qui nous a été inculquée et celle que le Bouddha a inventée. Les points de comparaison sont décrits dans cet ouvrage d“une façon didactique.

On peut s'étonner du ton parfois véhément de la prose d'Ishida. Mais enfin, il a appréhendé la mesure du gâchis et il est l'un des seuls non seulement à l'avoir dénoncé mais aussi à tenter d'en expliquer les raisons. Bien souvent, il a dû avoir l'impression de crier dans le désert. Puisse cette traduction en français permettre la diffusion de son enseignement.




Les doctrines des six maîtres étaient-elles vraies ?1







(Dire "Je ne le savais pas” ne sera plus une excuse)






Dans les Écrits du fondateur Nichiren nous trouvons : « Finalement, comme moi-même, mes disciples doivent s’appliquer à la pratique du principe juste. » (Sur les dix-huit accomplissements )2. Et pourtant, durant trente ans, sans tenir compte de cette injonction du maître des enseignements, ne nous sommes-nous pas opposés à l’intention fondamentale du vénéré Shakya et des bouddha en adhérant à des principes pervers, erronés et mensongers ? Et pour tous, bien sûr, ce n’était pas un acte délibéré ou une mauvaise intention, mais en tant que tels, ces principes pervers, erronés et mensongers ne nous ont-ils pas profondément imprégnés ? De fait, c’est parce qu’ils nous ont été inculqués.

Au regard des sources historiques, il semble probable que Hōnen, Kōbō et consorts, maîtres dévoyés fondateurs de courants religieux pleins de mauvaise sagesse et confits d’orgueil, ne s’étaient pas rendu compte et n’avaient pas non plus réalisé que leurs doctrines étaient d’invraisemblables enseignements à la fois pervertis et mauvais mais aussi des supercheries qui convenaient bien aux capacités des êtres de leur époque ; non, ils ont simplement commencé de propager leurs doctrines dévoyées. Dans ce mauvais état d’esprit ils ont fondé [dans notre pays] l’amidisme, les Paroles Véritables et autres. En fait, ils trouvaient leur propre enseignement “juste” – c’est-à-dire véridique – mais n’était-ce pas plutôt les œuvres d’une foi aveugle produite par l’obscurité fondamentale ?

Pourtant, à la lumière de l’ensemble des sūtra, on voit clairement que ces maîtres se sont opposés à la véritable intention du vénéré Shakya. Selon Nichiren, l’amidisme est voué à [l’enfer] sans rémission et les Paroles Véritables sont la ruine du pays. Du point de vue du dharma juste, de la doctrine juste, lorsqu’on se fonde sur “le principe véritable” [on réalise] à quel point le préjudice qu’ils ont causé a été considérable. « Les bouddha ont fait de l’œil de chair la preuve interne du Sūtra, la signification de l’enseignement réside dans la destruction des égarements"3 (Sur les dix-huit accomplissements) … Et cela tient au respect du “principe véritable du Sūtra”. À présent nous devons sincèrement comprendre la logique [de ce qui précède] et ce avec lucidité. Même si ce n’est pas intentionnellement ou animé d’un esprit mauvais que l’on croit dans ce que l’amidisme ou les Parole Véritables ont inculqué, on ne peut pas pour autant échapper à [l’enfer] sans rémission de l’amidisme ou à la ruine du pays qu’entraînent les Paroles Véritables. Même si l’on invoque la loi merveilleuse, une compréhension faussée due à des principes dévoyés, erronés et mensongers, dès lors qu’on les adopte, qu’on les croit, ou qu’on les pratique c’est "les causes que sont les offenses entraînent leur chute dans le mal4" et "Ils chutent pour mille éons en enfer5". Et bien qu’il s’agisse juste de cultes [religieux], cela peut amener l’effondrement du pays.

Lorsque nous avons adopté la foi [bouddhique], et que nous avons participé à la cérémonie dite “remise du précepte6” ; en même temps que battait le gong, il nous était demandé « Abandonnerez-vous les doctrines perverses des maîtres dévoyés, leurs lois mauvaises propres aux enseignements antérieurs et à la doctrine empruntée et, sincèrement, croirez-vous dans la véritable doctrine du vrai maître de la vraie loi du profond des phrases de la doctrine originelle du Sūtra du lotus et ce jusqu’à ce que ce corps devienne le corps du Bouddha ? » Et alors probablement avez-vous répondu de tout votre cœur : « Oui, je le ferai ! » Cette réponse n’était pas destinée au moine qui officiait mais, devant le trésor de la loi7 , elle était adressée au Bouddha originel, le fondateur Nichiren. Depuis, pour chacun d’entre nous, il aurait fallu prendre conscience clairement de ce que sont ces lois mauvaises des enseignements antérieurs et de la doctrine empruntée et les rejeter. Quand bien même nous avons dit « abandonner les lois mauvaises des enseignements antérieurs et de la doctrine empruntée », pour autant les avons-nous vraiment abandonnées ?

Les doctrines erronées des voies extérieures étaient plus anciennes que les enseignements antérieurs et comme telles, elles ne figurent pas explicitement dans les questions-réponses de la cérémonie de remise du précepte ; toutefois il est évident qu’elles sont sous entendues dans l’esprit même des questions rituelles énoncées. Malgré tout, n’est-ce pas parce que nous n’en avions aucune connaissance et que depuis longtemps, cela était tu par des dirigeants importants, que nous en sommes arrivés à croire à ces “doctrines des voies extérieures” ? Cette façon de croire ne revient-elle pas à s’opposer non seulement à Nichiren mais aussi à tous les bouddha des trois phases8 , n“est-ce pas “l’esprit de la foi de grande opposition à la loi” ? Dire « Mais je ne savais pas … » n’est pas une excuse pour autant. Pour chacun il y a là matière à un examen critique et à l’introspection, faute de quoi, on se retrouve à être conduit par le même mécanisme que celui qui poussait Hōnen, Kōbō et leurs sectateurs.

Même si on ne le savait pas, croire dans les doctrines des voies extérieures revient au “Rejet du bouddhisme et destruction de Shakya9” et ce, de la part des adeptes du Bouddha eux-mêmes. Selon La Révélation des offenses à la loi10 « En ce pays du Japon, ni les voies extérieures ni le Petit Véhicule ne sont présents », il y a sept cents ans, dans notre pays, durant la période de Kamakura, les doctrines des voies extérieures (les doctrines découlant des conceptions des six maîtres) n’étaient pas connues. Par exemple Kōbō, le fondateur [au Japon] de l’École des Paroles Véritables, acceptait tout à fait les notions bouddhiques telles que la production conditionnée ou l’absence de nature propre (absence d’essence) dont il fait grand cas dans ses propres écrits. Finalement, dans cette optique Kōbō, apparemment n’était pas égaré par les doctrines des voies extérieures.

Les doctrines des voies extérieures étaient un problème propre à l’Inde antique et il avait été parfaitement résolu durant l’ère de la loi juste par le vénéré Shakya puis, il y a 1800 ans, par Nāgārjuna dans son système de comparaison entre les voies intérieure et extérieures. Des [enseignements] tels que les sūtra des Traditions ou ceux de la Perfection de la prajña ou le Traité du Milieu avaient bien clarifié ce point. Toutefois, par la suite, dans l’École du Caractère des dharma, bien que ce courant soit né en Chine, c’est au Japon que nous voyons réapparaître les doctrines des voies extérieures dans cette École, lesquelles selon Saichō, s’étaient radicalisées jusqu’à prendre la place des enseignements. Ainsi cela a provoqué le débat entre le Provisoire et le Véritable qui vit s’affronter le grand maître Dengyō de l’École Tendaï et le maître de la loi Tokuïtsu du courant du Caractère des dharma. Par la suite, l’essai du grand maître Dengyō De l’Excellence de la Fleur de la loi peut être considéré comme ayant mis fin à cette controverse. Cela se passait avant [l’époque de] la Fin de la loi, durant celle de la Semblance de la loi.

Les Écrits de Nichiren (sa doctrine) se sont constitués à partir de trois des cinq degrés de comparaisons, à savoir les comparaisons : véritable/provisoire, emprunté/originel et semence/délivrance. Parmi elles les deux comparaisons véritable/provisoire et originel/emprunté sont reprises de Zhiyi et seule la comparaison semence/délivrance est due uniquement au fondateur de notre École. Dans les Écrits les comparaisons intérieur/extérieur ou Grand/Petit sont juste évoquées d’un point de vue historique, sans qu’une démonstration effective ne soit apportée. Ce qui revient à dire que le problème avait déjà été parfaitement résolu et ce dès l’époque de la Loi juste ; ce n’était donc plus un problème en l’ère de la Fin de la loi. Ce problème ne concernait plus du tout cette époque.

Mais l’histoire peut présenter des détours inattendus. Quoi donc a provoqué la renaissance des doctrines des voies extérieures des six maîtres à notre époque ? C’est durant l’ère Meiji11 que les doctrines des six maîtres se sont introduites au Japon. Elles étaient portées par une vague d’ouverture civilisationnelle favorable à l’Occident ; elles ont alors emprunté la forme de la philosophie grecque, laquelle présentait une structure tout à fait semblable à la leur. En pénétrant le système éducatif, elles ont fini par s’imposer dans la tête des Japonais.

Même dans nos têtes à nous, croyants de l’École correcte12, ces idées ont fini par s’implanter. Avons-nous été suffisamment vigilants vis-à-vis de cette situation unique et exceptionnelle ? avons-nous été conscients ? avons-nous pris les précautions qui s’imposaient ? C’est bien dommage et c’est avec tristesse que nous ne pouvons que répondre par la négative.

Pour autant, que je sache, à part une ou deux personnes, toutes les autres ont été conduites dans leur foi par [la manière de penser découlant de] la philosophie grecque, c’est-à-dire avec les conceptions des six maîtres sous de nouveaux atours. Finalement, malgré [les concepts] tels que “justesse de la voie intérieure, fausseté des voies extérieures” ou “supériorité de la voie intérieure, infériorité des voies extérieures”, - chose étonnante s’il en est -, ils ont vécu leur foi dans la confusion des voies intérieure et extérieures13. La compréhension de la doctrine elle-même se fait tranquillement selon une compréhension de type “confusion de la voie intérieure et des voies extérieures”. C’est exactement [la teneur] des essais et des cours qui sont délivrés actuellement. En même temps que l’on invoque « les voies extérieures sont mauvaises car elles n’enseignent pas correctement la causalité », on conçoit la loi de causalité selon les sciences ou la philosophie (appréhension objective) et non pas avec le vécu de la causalité propre à la loi bouddhique et à son ascèse (loi d’Existence). Et dès lors, la contemplation du cœur, voire même le profond des phrases de la loi merveilleuse, tout cela est interprété tout bonnement dans l’optique des six maîtres. Voilà bien “l’amalgame de la semence et de l’extérieur14”. Et c’est ainsi tout naturellement que la compréhension de la doctrine se fait comme “une interprétation confondant l’intérieur et l’extérieur”. Il en va de même pour les cours ou les conférences. On évoque « Les voies extérieures ne comprennent pas correctement la causalité, elles sont donc vaines ». Et pourtant, [dans leur esprit,] la causalité en question est celle des sciences ou de la philosophie (loi objective) et non pas celle qui résulte du vécu et de la pratique de la loi bouddhique. Que ce soit la contemplation du cœur ou le profond des phrases selon la loi merveilleuse, tout cela est tranquillement interprété dans la veine des six maîtres. Tel est “l’amalgame de la semence et de l’extérieur”. C’est bien pire encore que la confusion de l’emprunté et de l’originel15. Il s’agit bien là d’une “loi merveilleuse qui résulterait de l’amalgame des lois des voies extérieures avec les doctrines du profond des phrases ou de l’ensemencement”. Trouve-t-on dans tous les Écrits [de Nichiren] un seul mot, une demie phrase qui corroborerait un tel amalgame ? Bien sûr que non.

Autrefois les cinq patriarches, disciples du fondateur de notre École, se désolidarisèrent du Supérieur Nikkō du fait de leur confusion entre l’emprunté et l’originel. La raison de cette scission tenait à ce qu’ils avaient permis [aux croyants] de fréquenter les temples shintō, qu’ils se nommaient avec des noms monacaux issus du Tendaï, qu’ils persistaient dans l’attachement aux effigies de bouddha et d’autres choses encore. De fait, en dehors de la confusion entre l’emprunté et l’originel, il n’y avait absolument nulle autre cause à cette rupture. Dans le legs du vénérable Kō16, il est dit : « Il convient de savoir que ceux là qui pratiquent les austérités en mêlant l’emprunté à l’originel sont des parasites dans le corps du lion17 ». Toutefois, bien pire encore sont “ceux dont la pratique mêle intérieur et extérieur18”. Ne sont-ils pas également les parasites dans le corps du lion ? Ne représentent-ils pas ceux-là qui détruisent la doctrine des deux fondateurs de notre courant et qui de la sorte commettent grandes opposition et calomnie envers la loi ?

Ceux qui croient dans l’enseignement tel qu’il est dispensé, menés qu’ils sont par les dirigeants de la confusion entre [les voies] intérieure et extérieures, - et cela depuis tant d’années -, ont continué la pratique de la foi dans un tel contexte. Ils ne parviennent pas à développer les œuvres et vertus, c’est-à-dire l’accroissement des œuvres (pratique de la cause) et l’accumulation des vertus (effet de la pratique), ni même la réalisation de leurs prières quelles qu’elles soient, de même les bienfaits inapparents et ceux manifestes leur sont inatteignables et, de la sorte, cela convient mal pour devenir le Bouddha en cette vie. Ainsi l’organisation dont les structures regroupent ces personnes, au lieu de [promouvoir] la vaste propagation n’est-elle pas plutôt rien d’autre qu’une “Société par actions de production de châtiments bouddhiques” ? Regardez froidement autour de vous, ne voyez-vous pas surtout une profusion de châtiments. Pour eux, pour soi … Mais encore il ne s’agit là que de “rétributions en fleurs”. Nous devons bien considérer cette phrase de la Lettre de Sado « Ce ne furent que des rétributions en fleurs, mais combien plus se lamenteront-ils lorsqu’elles deviendront des fruits ».

Cela m’a surpris, mais il se trouve que des personnes qui se livrent aux activités dites “Éveil à la foi correcte19” sont venues frapper à ma porte. Bien que comprendre la foi correcte puisse sembler de bon aloi, en écoutant leurs paroles, en les questionnant sur leurs idéaux, j’ai été étonné de retrouver encore une fois la pensée des six maîtres. Ainsi c’était comme si Hōnen et Kōbō20 se critiquaient mutuellement dans le but d’éveiller l’autre à la foi correcte, il n’en serait rien pour autant. Dans tout cela pas de pratique personnelle ni d’adaptation à autrui, rien qui puisse améliorer la société. « Ça va bien l’Éveil à la foi correcte ou l’anti-gakkaï ! Mais vous devriez d’abord corriger vos propres conceptions » [leur ai-je dit] pour les apaiser. Bien qu’adepte de l’introspection, cela m’avait semblé pénible. Ainsi pour de nombreuses personnes les conceptions des six maîtres sont profondément enracinées. La confusion entre les voies extérieures et la voie intérieure est particulièrement en vogue. C’est vraiment bien triste. C’est même effrayant. Ainsi la vénérable vaste propagation s’est-elle muée en une “vaste propagation des doctrines des brahmanes et des six maîtres”.

À de nombreuses reprises nous avons eu des discussions dont la problématique était le juste ou le faux d’un point de vue religieux. Comme notre fondement religieux consiste, selon les paroles de Nichiren, à être “le courant qui combat sévèrement les oppositions à la loi”, même dans la pratique personnelle nous tenons pour fondamentale la distinction de ce qu’est la doctrine correcte, le vrai et le faux. De ce fait, il semble évident que l’on ne peut absolument pas se permettre [une attitude] ambigüe envers ce qui est vrai et ce qui est faux. Et pourtant, dans la confusion [des voies] intérieure et extérieures, la distinction du vrai et du faux dans les trois grandes lois ésotériques a fini par être complètement abandonnée. Amalgame des [voies] intérieure et extérieures, du Grand et du Petit [Véhicules], du véritable et du provisoire, de l’originel et de l’emprunté, de l’ensemencement et de la délivrance … Dès lors que l’on introduit la confusion [entre les voies] intérieure et extérieures au sein des cinq degrés de comparaisons, il n’y a plus de supériorité/infériorité et ce jusqu’au degré de l’ensemencement et de la délivrance : [la totalité du système] perd toute cohérence. Finalement, on en arrive aux jugements communs selon lesquels toutes les religions se valent. La distinction vrai/faux est abandonnée. Dès lors, y a-t-il dans la société doctrine plus néfaste que la confusion [des voies] intérieure et extérieures ?

Mais on a beau arranger les doctrines des six maîtres en les parant des atours de la philosophie grecque, elles n’en demeurent pas moins pareilles à elles-mêmes. Mais alors, quelles sont les personnes qui s’emploient à répandre la confusion [des voies] intérieure et extérieures à la façon des six maîtres ? Ce qui concerne ces six maîtres remonte à un passé extrêmement lointain et nous n’en connaissons pratiquement rien. Au moins avons-nous un certain nombre de faits que nous sommes censés savoir. Tout d’abord Don des Dieux, au début de son action, poussé par [certains] des six maîtres, il a sournoisement manigancé des persécutions à l’encontre du vénéré Shakya. Les désaccords entre le vénéré Shakya et les six maîtres causèrent à ce dernier des persécutions cruelles, dont les neuf grandes persécutions. Les doctrines "objectives” des six maîtres furent radicalement rejetées par la doctrine "existentielle” du vénéré Shakya.

Nous trouvons dans le Traité qui ouvre les yeux « Toutes ces mauvaises gens … passant sur les significations essentielles, profondes et secrètes de l’Ainsi-venu … forgeront des phrases insanes mais solennelles et de belle tournure pour le sens commun … ce sont les commensaux des démons. » (citation du Sūtra du nirvana) et « Et si, privé de sagesse et laissant l’orgueil s’épanouir, il se dit l’égal du Bouddha ... (citation de L’Arrêt et examen). Lisant les sūtra et commentaires nous voyons bien comment les pensées et les actions des six maîtres détruisent la loi bouddhique, mais qui sont donc [aujourd’hui] ces personnes ? Cela vient de nous être parfaitement décrit, les voilà : formellement ils honorent la loi bouddhique, ils se tiennent aux côtés du dirigeant, ils paradent comme s’ils se demandaient s’ils étaient l’égal du Bouddha, ils se comportent en brisant la loi. Comme exemples il y eut Hōnen, Kōbō et d’autres, mais maintenant le cercle de leurs émules s’est agrandi.

Le vénéré Shakya nous en avait laissé la prédiction : dans le futur, après l’extinction du Bouddha, les six maîtres réapparaîtront. « Dans le monde futur, quand bien même certains auront revêtu la robe monastique et quitté leur famille afin d’étudier dans le courant de ma doctrine, ils se livreront en fait au désœuvrement et à l’indolence. Ils en viendront à calomnier les sutra développés et appropriés. Qu’on le sache, il s’agit bel et bien des diverses bandes d’hétérodoxes de notre époque21.» Ainsi les émules des six maîtres sont réapparus du vivant du fondateur de notre École « Les factions de Hōnen et de Dainichi … rejetons tardifs des six maîtres resurgissent dans le bouddhisme. » (Lettre de Sado). Puis sept cents ans après, durant les ères Shōwa et Heisei, de nouveau, il n’est absolument pas surprenant que nous les retrouvions encore de retour. De la sorte, après le trépas du Bouddha, les conceptions des six maîtres (substantialisme) apparaissent comme une sorte d’ « anti-bouddhisme ».

Quoi qu’il en soit, sous une nouvelle forme, avec une nouvelle allure, les caractéristiques de l’empreinte (actes causaux d’autrefois) des conceptions des six maîtres reviennent encore et encore dans notre monde actuel et réapparaissent. Et ce sont les mêmes idées, les mêmes conduites qui se répandent. Cela est exprimé dans le Sūtra du nirvana : « Toutes ces mauvaises gens … passant [tout comme les six maîtres] sur les significations essentielles, profondes et secrètes de l’Ainsi-venu [la véritable doctrine de la loi juste, du principe juste] … forgeront des phrases insanes [logique du tiers exclu ou narration selon un modèle horizontal de démonstration c’est-à-dire syllogismes] mais solennelles et de belle tournure pour le sens commun [les vérités conventionnelles de la philosophie ou des sciences]22ce sont les commensaux des démons. ». Alors que la loi bouddhique procède par enseignement de la notion d’Existence, les doctrines des six maîtres prônent une vue objective, c’est ce qui fait la distinction [entre ces deux approches].

[La citation du Grand arrêt et examen] « … privé de sagesse (sagesse de la loi, sagesse du Bouddha) et laissant l’orgueil s’épanouir, il se dit l’égal du Bouddha » concerne bien ces personnes. La sagesse dont sont dépourvus ces personnes c’est la sagesse de la loi, la sagesse du Bouddha ; mais généralement elles sont intelligentes, elles s’appuient sur leur connaissance des voies du monde et sur leurs ressources, elles se considèrent supérieures à autrui et sont d’une éloquence séduisante. Et alors, elles ne font que répandre « des phrases insanes mais solennelles et de belle tournure pour le sens commun » (ce sont tous ces raisonnements actuels qui sont faciles à comprendre). N’était-ce pas le cas de Hōnen ou Kōbō en leur temps ? Il en va de même à notre époque. Même dans notre courant de la loi merveilleuse, c’est ce que font des gens brillants qui dissimulent leur manque de connaissances. Ce sont les parasites dans le corps du lion.

L’Obscur engendre les vues personnelles, les vues personnelles engendrent les multiples conceptions, les multiples conceptions engendrent les attachements, les attachements au moi engendrent l’orgueil, l’orgueil engendre l’amour de soi, l’amour de soi engendre les désirs personnels et l’avidité. Tout provient de l’Obscur selon la séquence “vues → attachements → orgueil → amour → avidité”. Comme il est dit dans l’Arrêt et examen : « Les vues personnelles sont le fondement des multiples conceptions ». La vue du moi , l’attachement au moi invitent nécessairement l’orgueil. Comme nous l’enseigne la Transmission orale sur les significations : « … Des laïcs en fanfaronnant montrent grand orgueil … Ils cachent leurs blessures et affichent leurs vertus, incapables d’introspection [de pratiquer la pensée réflexive], ce sont des personnes sans vergogne23. »
[Un peu plus loin, nous trouvons : ] « Ces laïcs sont des hommes qui ont fait de l’orgueil leur fondement ». L’orgueil dont il est question ici c’est l’attachement que l’on peut avoir pour ses propres vues dont on se vante ; ces vues doivent être comprises comme la croyance en l’existence d'un moi. L’existence du moi manifeste l’idée selon laquelle ce moi serait l’ātman, et donc une substance, [dans cette conception,] il résiderait en toute chose une part qui serait identité du soi et du corps, ce que la philosophie grecque a qualifié de substance. La conception selon laquelle il y a l’ātman (ego, substance) à la fois en soi-même et en tout être, est ce que l’on désigne par “la vue du moi”. Les conceptions telles que ego, vue du moi, nature propre expriment vraiment la structure de la pensée des six maîtres. Ce substantialisme est fondamentalement antagonique avec la loi bouddhique.

Considérer que le moi soit permanent et un, c’est-à-dire une entité pérenne et unique, dotée d’autonomie, implique que toute chose et notamment soi est doté naturellement d’un principe constant, incarné, perpétuel, identique à lui-meme : la substance. Les Indiens appellent cette caractéristique de l’ātman “svabhāva” (nature propre). Cette nature propre en termes actuels serait qualifiée d’« essence ». La caractéristique de la substance c’est l’essence. C’est la part qui demeure et qui est l’identité du soi et sa nature.

En fait, l’affirmation dans la philosophie grecque de la substance et de l’essence correspond chez les six maîtres à leur ātman et svabhāva (nature propre). De plus, les notions de particules et d’autonomie – les conceptions atomistes – leur sont communes. Ces notions de particules et d’autonomie sont désignées par le terme pudgala24 et le vénéré Shakya les a rigoureusement rejetées les qualifiant de « pensées courantes des égarés ». Substance, essence, pudgala … et aussi logique du tiers exclu, au bout du compte dualité, tout cela est produit par le point de vue objectif, voilà bien la teneur des « phrases insanes mais solennelles et de belle tournure pour le sens commun ».

Nous ainsi que toutes choses, tous les phénomènes, toutes les lois, tous nous sommes intégrés dans les mécanismes, les strates d’un univers grandiose … Dans le temps et l’espace, tout cela se forme et perdure en s’assimilant et en dépendant du reste et en aucun cas en étant un élément [séparé], doté d’autonomie. La notion de pudgala est une tromperie qui résulte d’une compréhension situationnelle.

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1 Fascicule publié en 1990, 39 pages, éditeur Enyūkai (縁友会).

2 Traité de Nichiren adressé au moine Sairen et écrit en 1280 (Shōwa Teihon p 2137).

3 Comme cela arrive chez Ishida, les citations sont formulées de mémoire ou sous forme de résumés. La traduction intégrale de ce passage du traité de Nichiren Sur les dix-huit accomplissements est la suivante : « De plus, généralement on reconnaît deux sortes de cinq catégories occultes. La première est les cinq catégories occultes de l’intention du Bouddha et la seconde les cinq catégories occultes des aptitudes et sentiments. Les cinq catégories occultes de l’intention du Bouddha consistent à [employer] la preuve interne des bouddha pour doter le corps des cinq yeux, c’est-à-dire des cinq caractères de myō -hō-ren-gué-kyō. L’œil du Bouddha est myō, l’œil de la loi est , l’œil de la sagesse est ren, l’œil du ciel est gué et l’œil de chair est kyōLe Sūtra a pour signification de briser les égarements. Comme il traite les égarements, on le nomme “œil de chair”. »
J’ai souligné les termes que l’on retrouve dans la citation donnée par Ishida.

4 Citation tirée des Notes sur les Mots et phrases de la Fleur de la loi de Zhanlan. Toutefois la citation complète dit : les causes que sont les offenses entraînent leur chute dans le mal, mais sans doute, cette cause sera source de bienfaits. Il s’agit d’un commentaire du chapitre du Bodhisattva Toujours-Sans-Mépris.

5 Cette citation également semble paraphraser un passage du chapitre du Bodhisattva Toujours-Sans-Mépris.

6 Gojukai en japonais.

7 Exactement il dit Gohōzen (御宝前) terme qui désigne dans un temple, l’objet de culte principal.

8 passé, présent, futur.

9 Haibutsu kishaku (廢佛毀釋) : rejet du bouddhisme, destruction de Shakya’ slogan employé lors des phases de persécutions de la structure religieuse du bouddhisme en Chine et repris au Japon lors des persécutions de tendances nationalistes de l’ère Meiji (1868-1912).

10 Ken hōbōsho : Traité de Nichiren écrit en 1262 lors de son exil sur l’île d’Izu.

11 1868-1912.

12 Shōshū (正宗) on peut penser qu’il désigne ainsi Nichiren Shōshū, à moins qu’il ne fasse référence au sens littéral de cette expression, comme je l’ai traduit. Les deux interprétations ne s'excluent pas.

13 Cette analyse est particulièrement fine et intéressante. La comparaison voie intérieure/voies extérieures est le premier élément du système des cinq degrés de comparaisons. Si ce premier élément devient caduc c’est tout le reste qui s’effondre.

14 En japonais shuge itchi (種外一致). Ici Ishida crée une sorte de concept formé du premier terme du 5e degré de comparaisons (semence) et du second terme du premier degré de comparaison (extérieur). On mêle donc le meilleur et le pire, d’où le choix d’amalgame plutôt que coïncidence pour rendre itchi (一致). Voir cinq degrés de comparaisons.

15 C’est-à-dire la confusion entre les deux termes du quatrième degré de comparaisons : Comparaison originel/emprunté, (voir cinq degrés de comparaisons).

16 Appellation honorifique de Nikkō.

17 Comme souvent, Ishida fait des citations qui ne sont pas littérales ce qui perturbe l’identification des citations en question. Celle-ci se rapproche de l’un des thèmes du Gonin shohasho (五 人 所 破 抄), un essai commencé par Nikkō et rédigé ensuite par un disciple d’Omosu, Nichijun.

18 C’est-à-dire l“amalgame des voies extérieures avec la voie intérieure.

19 Il semble qu’Ishida fasse ici allusion à des croyants du groupe Shōshinkaï.

20 L’exemple que donne Ishida est plein d’ironie et assez rhétorique. Évidemment Hōnen le fondateur de l’amidisme au Japon et Kōbō celui de l’École des Paroles Véritables ne se sont jamais rencontrés : ils ne vivaient pas à la même époque. Toutefois cela semble bien excessif de la part d’Ishida de renvoyer dos à dos Sōkagakkai et Shōshinkai. Il est possible que les interlocuteurs qu’il a rencontrés n’étaient pas très brillants mais, que je sache, Shōshinkai n’a pas inventé des doctrines aussi invraisemblables que la Sōkagakkai (Myōhō Loi de l'Univers etc.) ni développé le culte de la personnalité ni mis en place une organisation qu’Ishida lui-même qualifie de “Société par actions de production de châtiments bouddhiques”.

21 Cet extrait de la Lettre de Sado reprend en fait un extrait de la version chinoise du Sūtra du grand nirvana.

22 Toutes les explications entre crochets qui commentent le Sūtra sont ajoutées par Ishida.

23 Cette citation est extraite de La Transmission orale sur les significations, deuxième chapitre (Moyens), cinquième point. Pour remettre cette citation dans son contexte, voici le début de cet extrait :

V Au sujet de Il est des moines et des nonnes
                         Infatués d’eux-mêmes
                         Des laïcs pieux attachés à leur égo
                         Et des laïques dépourvues de foi


Dans le quatrième volume des Mots et phrases il est dit : « L’infatuation, l’attachement à l’ego et l’incroyance circulent parmi les quatre gens. Et de fait, dans les deux congrégations des moines et des nonnes, certains prétendent avoir accompli les austérités selon de nombreuses voies. Ils croient saisir la méditation mais la dévoient et ils prétendent posséder le fruit de la sainteté alors qu’ils n’ont développé que de la fatuité. Des laïcs en fanfaronnant montrent grand orgueil et des femmes de sagesse superficielle conçoivent des vues insensées. Ces gens ne voient pas leur propre dépravation et recouvrent les trois corruptions du cœur précitées. Ils cachent leurs blessures et affichent leurs vertus, incapables d’introspection, ce sont des personnes sans vergogne. Si ces religieux pouvaient voir leurs propres fautes, ils seraient gagnés par la honte. »

24 Individu, pour une définition plus large on peut se référer au (Dictionnaire Héritage du Sanscrit, Gérard Huet : पुद्गल pudgala a. m. le corps | la personnalité, le self | phil. l'individu et son ego | bd. la personne esclave de ses désirs | [pudgalāstikāya] jn. objet matériel | bd. [Vātsīputrīyās] (École bouddhique critiquée par Vasubandhu) support matériel du karma personnel, transmis par transmigration; il est postulé différent de l'ātman du Vedānta).

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