Réponse à l'épouse de sire Matsuno



松 野殿女房御返事



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Matsunodono nyobo gohenji, Showa teihon p 1792




  Cette lettre a été écrite le premier jour du neuvième mois de la troisième année de l’ère Koan (1280). On a assez peu de données sur sa destinataire sinon qu’elle était la femme du nyudo (celui qui est entré sur la voie, un renonçant) Matsuno Rokuro Saemon ( ? – 1278), samouraï et disciple laïc qui a reçu plusieurs lettres de Nichiren écrite lorsque celui-ci s’était retiré au mont Minobu. On suppose qu’elle est devenue nonne peut-être sous le nom de nonne Loi-Merveilleuse (Myoho ama). D’autres lettres courtes comme celle-ci, destinées à cette même personne, témoignent de cette poésie particulière qui touche à l’essentiel. Pas de démonstrations étayées ni de longues citations mais un message inspiré et allusif qui laisse deviner la finesse d’esprit de celle à qui s’adresse cette correspondance.

  En ce début d’automne 1280, Nichiren de son lieu de retraite du mont Minobu était en relation épistolaire avec plusieurs autres disciples, il avait achevé un mois plus tôt le traité Totaï rengué sho et inscrit plusieurs honzon destinés à des croyants.

  Le texte nous indique qu’il venait de recevoir un véritable chargement d’offrandes de nourriture de la part de la veuve de Matsuno. Puis Nichiren évoque la foi et l’éveil qui progressivement, on serait tenté de dire naturellement à la lecture de ces lignes, s’installent dans le cœur du croyant.

  Il fait allusion à la première expérience de la vision du Bouddha qui apparaîtrait durant un rêve. Je ne me souviens pas avoir lu quoique ce soit de similaire dans d’autres textes bouddhiques, d’autant que dans les conceptions générales du bouddhisme le rêve est contraire de l’éveil et relève de l’illusion. Le Bouddha est un éveillé c’est-à-dire qu’il est sorti de la léthargie de l’existence. Le Samsara est souvent désigné comme étant le rêve des vies et morts. Souvent les caractères du rêve servent à révéler l’illusion de notre perception du monde voire de nos convictions. Par exemple pour décrire l’erreur des jugements des hommes qui pensent avoir raison, on cite la parabole de l’homme humble dont l’imagination est frappée par la beauté d’une princesse alors qu’il assiste au passage de son cortège. Il rêve ensuite qu’il est devenu l’amant de celle-ci et, l’esprit égaré, décide de fuir dans une zone reculée de peur de représailles. Bien évidemment il n’est pas rattrapé puisque personne ne le recherche...

  Toutefois, dans la littérature ancienne de l’Asie le rêve n’est pas toujours un déni ou une caricature de la réalité. On connaît l’anecdote où Zhuangzi s’éveille d’un rêve où il était papillon et se demande « si c’était Zhou rêvant qu’il était papillon ou un papillon rêvant qu’il était Zhou ». Ici le rêve est une sorte d’alter ego du réel. Toujours en Chine, dans la poésie classique de l’époque Tang le rêve est parfois le lieu de souvenirs du passé ou des êtres auxquels on était attaché. Au Japon, le rêve est souvent un lieu de passage et de relations avec un autre monde par exemple celui des défunts ou d’êtres surnaturels. Ce qui d’ordinaire ne se manifeste pas en ce monde, de par une sorte de cloisonnement des multiples dimensions du réel, se révèle à l’esprit du dormeur dans le rêve.

  Il semble donc qu’ici Nichiren abandonne la vue rhétorique du rêve tel qu’on le trouve généralement dans les textes bouddhiques, y compris dans certains de ses propres traités par exemple le Sokanmon sho : «Ils comprennent les neufs premiers des dix mondes de dharma et représentent, quant au rêve et au réel, et le bien et le mal en rêve. Aussi dit-on que le rêve est provisoire et vrai le réel et, comme le rêve est inconsistant et dépourvu de corporéïté, on les appelle Sutra provisoires... Ce qui est provisoire procède des modèles du rêve » (Showa teïhon p1686).

  Pourtant si l’on y regarde de plus près ce qui est évoqué ici, c’est davantage les caractères « d’irréalité » que l’on prête communément au rêve plutôt que le rêve lui-même. En effet le même texte, un peu plus loin nous dit : « Le rêve des vies et morts est passager et dépourvu de corporéïté, comme tel il donne modèle au provisoire. Par le fait on le qualifie d’illusion de la pensée » (Showa teïhon p1687). Il y a un glissement, le rêve est qualifié de « rêve des vies et morts ». Il ne s’agit plus du rêve auquel assiste le dormeur mais des « vies et morts » qui représentent l’existence, ou les existences successives, et qui est ce que nous croyons être le réel. Nous voyons bien que ce rêve se réfère moins au sommeil qu’à l’ignorance des hommes.


  Nichiren nous livre donc ici dans cette courte lettre une indication importante sur l’expérience de l’éveil. Et, comme il le dit, toutes les nombreuses doctrines qui ont été enseignées ne vont pas au-delà de cette expérience. A ce niveau, il n’y a plus profusion des doctrines.

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