Commentaire de la Réponse à sire Matsuno


松野殿御返事

Matsuno dono gohenji, Nichiren shonin ibun, Showa teïhon P. 1264



 Le destinataire de cette réponse s’appelait Matsuno Rokuro Saemon (松野六郎左衛門). Ce nyudo (celui qui est entré sur la voie, un renonçant), vieux samouraï, habitait dans la province de Suruga (actuellement département de Shizuoka). Il était le père de deux disciples importants de Nichiren, Nichiji (日持) et Ueno Ama (上野尼). D’une autre lettre de Nichiren, nous savons qu’il avait également plusieurs autres enfants. A la fois lui-même et son épouse ont reçu de nombreuses lettres de Nichiren. On suppose qu’il est mort en 1278.

 Les Matsuno ont fait partie de ces quelques familles autour desquelles le bouddhisme de Nichiren s’est développé. Son fils Nichiji est l’un des six moines aînés, sa fille connue sous le nom de Religieuse Dame Ueno était la femme de Nanjo Hioeshichiro, la mère de Nanjo Tokimitsu (1259 – 1332), donateur des terrains du temple Taïsekiji, et grand-mère de Nichimoku (1260-1333), un autre disciple important de Nichiren.

 Cette lettre est datée de la deuxième année de l’ère Kenji (1276). A cette époque, Nichiren, depuis deux ans déjà, s'était retiré au pied du mont Minobu. Les autorités n’avaient pas tenu compte de sa troisième remontrance, aussi avait-il décidé de vivre en ermite, prenant retraite dans cette région inhospitalière, où il avait construit lui-même une habitation rudimentaire.

 Après les années de lutte, il trouvait en ce lieu isolé la quiétude propice à la rédaction d’importants traités, et à la réflexion sur sa propre vie et sur les destinées de son école. Nul doute que le cadre sauvage du mont Minobu fut apprécié par Nichiren. Il souhaita que sa tombe y soit érigée et que ses principaux disciples vinssent s’y recueillir à tour de rôle.

 Le troisième mois de cette même année 1276, celui qui avait été le premier maître de Nichiren, lorsque celui-ci était enfant, le moine Dozen, disparaissait. Pour témoigner de sa gratitude, Nichiren rédigea le Hoon sho (Traité de la reconnaissance), dans lequel il définit ce qu’est la reconnaissance envers le maître et la façon dont elle doit s’exprimer envers les êtres.

 Matsuno, le destinataire de cette lettre doit avoir écrit à Nichiren pour lui donner des nouvelles des autres disciples de sa région et lui poser quelques questions à propos de la doctrine. Il semblerait qu’il l’ait interrogé sur la récitation du Titre, à savoir « si les œuvres et vertus diffèrent selon que ce soit un sage ou nous-même qui récite le Titre », et également sur la mort. Rappelons que Matsuno probablement assez âgé à l’époque devait s’éteindre deux années plus tard.

 Nichiren déplore l’état du monde religieux de son époque. pour lui, le clergé bouddhique est déjà entré dans une période dégénérée que le Bouddha avait prédite et qualifiée par les termes de « fin de la loi » : « ... dans l’ère finale, les religieux demeurent attachés à la renommée et au profit ». L’incompréhension des doctrines dont témoignent les prêtres qu’il évoque, s’accompagne tant de la recherche du profit personnel que de la multiplicité des points de vue. Tous ne souhaitent qu’assurer leur subsistance et la fidélité de leur clientèle.

 A l’inverse, certains parmi les disciples, tel le moine Nichigen, s’efforcent de rechercher et d’enseigner la signification profonde des sutra et, dès lors, ils se voient rejeter à la fois par les laïcs et les ecclésiastiques.

 Au fil de cette lettre, Nichiren se réfère, constamment et de façon explicite, à la tradition du bouddhisme, fondant ses propres convictions sur les sutra et commentaires qu’il cite abondamment.

 Nichiren sonde les préoccupations et les angoisses de celui qui lui a écrit. Tout au long de cette lettre, sauf dans sa partie finale, pèse le poids de l’inquiétude devant l’impermanence. Est-ce une appréhension qui perçait déjà dans la lettre de Matsuno, est-ce dû à la mort récente du maître Dozen ?

 La réponse paradoxale à cette angoisse nous est fournie par l’exemple du Garçon des Monts enneigés : en donnant sa vie pour l’enseignement, il se soustrait la précarité de l’existence.

 Cette vie, face à la réalité de l’éveil, apparaît comme un rêve illusoire et Nichiren se livre ici à une véritable leçon des ténèbres, où il nous fait percevoir à la fois la précarité des joies de l’existence, mais aussi la solitude et l’obscurité qui nous accompagnent.

 Seul le sacrifice du corps, afin de recevoir l’enseignement, permet d’échapper à l’impermanence des vies et morts, c’est-à-dire à la dissolution de l’ego : « Vous qui vous êtes enquis du monde d’après, sachez que la seule efficace est d’agir comme le fit le Garçon des Monts enneigés ».

 Nichiren insiste à plusieurs reprises sur cette nécessité du don de la vie en tant que pratique essentielle au bouddhisme : pour chacun, il arrive un moment où seul le sacrifice de sa propre vie permet de connaître l’enseignement ultime. Quitte à ce que les divinités, comme Indra dans la parabole, interviennent d’une façon salutaire.

 Il définit enfin la voie du laïc dans son courant en trois points : réciter Namu Myohorenguékyo sans pensées autres, faire des offrandes à la communauté des moines pour qu’elle puisse subsister et assumer sa mission, et enseigner dans la limite de ses capacités, afin que le dharma se propage parmi les êtres.

 Si la pratique se poursuit de la sorte, au plus tard à l’instant final, le croyant pourra contempler la terre du Bouddha et Nichiren en donne ici une des plus belles descriptions.


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