La Déesse Mère des Enfants Démons : légende, représentations, symbolique












  D’après les légendes bouddhiques, Ananda arrivant dans la ville de Rajagraha (Maison-le-Roi) entendit une rumeur selon laquelle de nombreux enfants disparaissaient. Il reporta le fait au Bouddha qui devina l’auteur de ces enlèvements, à savoir l’ogresse Hariti qui dévorait les jeunes enfants. Ananda se désolait de l’incapacité du roi d’empêcher cette ogresse de perpétrer ses crimes mais le Bouddha décida d’y remédier. Il confia son plan à Ananda. Ce dernier, accompagné de plusieurs moines, se rendit près de l’antre de l’ogresse et ils demeurèrent cachés attendant que celle-ci s’absente pour aller chercher ses proies. Les religieux, à l’aide de leurs pouvoirs surnaturels, capturèrent les enfants démons de l’ogresse et les tinrent captifs en un lieu secret.

  De retour à son repaire, la mère se désolait de la disparition de ses enfants, elle imaginait que les dieux, et particulièrement le roi Yama, lassés de ces forfaits, avaient pris quelque mesure à son encontre. Les jours passaient mais elle ne pouvait retrouver sa progéniture et désespérée elle errait en ville lorsqu’elle croisa le vénérable Ananda. Celui-ci lui conseilla de demander l’aide du Bouddha.

  Shakyamuni la réprimanda sévèrement. Elle, qui n’avait cessé d’enlever et de tuer les enfants des autres pour satisfaire ses appétits, elle éprouvait maintenant l’anxiété des parents de ses victimes. Le Bouddha exigea sa repentance et lui enjoignit de ne plus commettre les cinq forfaits. Il lui enseigna la loi bouddhique et lui fit prêter serment d’en devenir la défenderesse. A ce titre, elle est vénérée également comme une divinité protectrice de l’enfance.





  Cette légende appelle plusieurs commentaires.

 Cette Déesse Mère qui est loin d’être sympathique, a des caractéristiques mystérieuses. Elle semble échapper du monde des esprits affamés, ne plus être soumise à l’autorité du maître de ce séjour, le roi Yama, et représente un danger pour l’espèce humaine. Pareillement elle ne dépend pas de l’autorité d’un époux. Pourtant malgré l’absence de cet époux sa progéniture est innombrable. Elle est totalement insensible à la souffrance de ses victimes ou de leurs parents et n’a de cesse que de satisfaire ses appétits en se livrant au cannibalisme. Ses enfants ont peu d’existence et finalement, le rôle qu’ils jouent dans cette histoire tient surtout à leur absence.

  Les caractéristiques de cette Déesse Mère dépeignent une sorte de folie maternelle dangereuse. Elle est incapable de réflexion, voire de sentiments, et poussée par un instinct puissant elle n’a de cesse que de s’approprier les enfants en les incorporant par absorption. De même, ses propres enfants ne deviennent existants que lorsqu’ils lui sont retirés. La puissance brutale de ce personnage s’accroît par assimilation des enfants qui lui sont extérieurs et décroît lors de la partition, de la séparation d'avec sa progéniture (elle semble bien misérable quand elle erre à la recherche de ses enfants). Cette mère "inclusive" est donc le contraire d’une vraie mère qui elle, met au monde des enfants qui deviennent donc des existences autonomes.

  Notons que dans le bouddhisme, dans la relation parent – enfant, ce qui ressemblerait le plus à une relation œdipienne est généralement présenté avec pour sujet le parent, à l’inverse justement du mythe d’Œdipe où le sujet actif est l’enfant (Œdipe lui-même). Ainsi, Nichiren, citant l'Abhidharma kosa sastra dit "Un garçon cause la colère de son père et éveille l’amour de sa mère, alors qu’une fille, elle, cause la colère de sa mère et éveille l’amour de son père" (réf.) Sur ces sujets on se reportera également à l’article gandharva (deuxième sens).






  Pour en revenir à Hariti, la Déesse Mère des Enfants Démons, les représentations anciennes (1°-2° siècles, Népal), nous montrent un personnage massif, aux jambes puissantes et aux traits grossiers. Les représentations ultérieures dégagent mieux une certaine féminité, encore que souvent le cou soit épais, les yeux ronds et le visage empreint de brutalité. L’iconographie a toutefois eu tendance à retirer à ce personnage son aspect rebutant et la statuaire japonaise nous la montre souvent sous une apparence plus gracieuse à tel point que certains cultes semblent induire une confusion avec le bodhisattva Kanzeon sous son apparence féminine. Les statues plus récentes la montrent même debout avec un visage placide et donnant le sein à un nourrisson.


  Notons enfin la structure symétrique de son nom en chinois, Guizi-mushen (Kishi-mojin en japonais), c’est à dire en respectant l’ordre de cette langue : Démons Enfants - Mère Divinité. Le parallèle se dégage immédiatement dans une double opposition entre les deux parties de son nom : Enfants / Mère et Démons / Divinité, soulignant encore l’ambiguïté et la contradiction active qui sont au cœur de ce personnage. Tous ces aspects laissent imaginer l’intérêt que le bouddhisme ésotérique a porté à cette déesse. Le Sutra du lotus, la fait intervenir dans son XXVI° chapitre où avec dix de ses filles (voir dix ogresses) elle fait serment de s’en prendre à ceux qui tourmenteront les maîtres de la loi.

  Nichiren l’a incorporée dans la partie droite de son honzon. Dans les honzon actuels de l’ordre Nichiren Shoshu, dans cette même partie droite qui est liée à ce qui est imparti (tei, ding, ce qui est fixé), figure la phrase du Sutra du lotus où les ogresses jurent que celui qui tourmente les maîtres de la loi verra "sa tête brisée en sept morceaux".


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