Nichiren 日 蓮 (1222-1282)

Biographie




  Le premier récit qui nous soit parvenu sur la vie de Nichiren est le Honmonshu Yosho (Textes fondamentaux de l'Ecole Honmon, 本 門宗要書, XIVe siècle). A peu près à la même époque, nous trouvons également le Godendodaï (御傳土 代) de Nichido (1283 - 1341). Il faut remarquer que ces textes ont été écrits probablement un peu plus de cent ans après la mort de Nichiren mais que ceux qui les ont rédigés ont été en rapport avec des disciples directs de Nichiren. C'est le cas de Nichido qui est lui-même disciple de Nichimoku lequel a connu et servi Nichiren.

    L'une des principales sources que nous avons est également les nombreux écrits autobiographiques de Nichiren. Citons, entre autres, Sado gosho (Lettre de Sado, 佐 渡御書, 1272), Shuju ofurumaï gosho (Les Actes, 種種御振舞御書,1275), Shonin gonanji (Persécutions des sages, 人御難事, 1279) ou sa dernière lettre qui trace un récapitulatif de son parcours Hakiri dono gosho (Lettre au seigneur Hakiri, 波木井殿御書, 1282). La très nombreuse correspondance de Nichiren qui a été conservée fournit également de multiples et précieuses informations. Il n'empêche que Nichiren apparaît peu ou pas dans les annales de son époque et que des recherches historiques plus approfondies seront les bienvenues, et permettront d'éclaircir quelques points.

    Nichiren est né la première année de l'ère Joö 貞 応 (1222), dans le village de Kominato (小湊, actuel département de Chiba), dans l'ancienne province d'Awa (安 房), sur les rives de l'océan Pacifique.  Un an plus tôt, la dernière tentative de la cour impériale de reprendre les rênes du pouvoir avait échoué. Cet évènement connu sous le nom des troubles de l'ère Jokyu (承 久の乱, Jokyunoran), consacrait le pouvoir du clan Hojo et la défaite des troupes impériales. Toute la carrière de Nichiren coïncide à peu près avec l'apogée de la famille Hojo avant que, dès le début du quatorzième siècle, les tendances centrifuges (la cour, les grands monastères, les guerriers) fragilisent ce pouvoir.

    Ses parents lui donnent le nom de Zennichimaro (善日麿). Nous avons peu d'informations fiables sur sa famille. Son père était pêcheur. Dans ses écrits, Nichiren indique qu'il est issu d'une famille pauvre qu'il assimile à la caste des sudra qui, dans le système social de l'Inde antique, était la plus basse des quatre castes. Il semble néanmoins que cette enfance, dans une région où les collines descendent jusqu'à la mer, ait donné au jeune Zennichimaro une constitution particulièrement robuste. Il témoignera toujours de respect et d'affection pour ses parents et il gardera également toute sa vie une forte sensibilité aux beautés de la nature, ainsi qu'une grande facilité de communication avec le petit peuple.

    Quand il a onze ans, son père le confie à Dozen (道善), le supérieur du monastère proche de Kiyozumi (清澄). Ce lieu, à l'origine d'obédience Tendaï, s'était ouvert aux influences du Shingon (école des Paroles véritables) puis de l'Amidisme. Il apprend l'écriture et les classiques et commence de manifester un zèle religieux qui le fait remarquer par ses instructeurs. A quinze ans, le moine Dozen lui confère l'ordination bouddhique et le nom de Rencho (蓮長). Notons que le caractère lotus "ren" () apparaît dans ce nom de même que le caractère soleil "nichi"() figurait dans le nom que ses parents lui avaient donné.

    Cette époque est marquée par des changements importants. Consécutivement à l'affaiblissement du pouvoir impérial, de nouvelles classes émergent, par exemple la classe des guerriers (bushi) ou des fonctionnaires. La société est relativement moins figée que précédemment et un jeune moine comme Rencho peut nourrir différentes aspirations. Les nouveaux courants religieux se développent. Aux anciennes écoles de Nara, sont venus s'ajouter le Tendaï et le Shingon puis l'Amidisme et le Zen. Par exemple dans le monastère où Nichiren étudie, le Honzon est le bouddha Vaïrocana (tendance ésotérique Tendaï, voire Shingon), on apprend également le Sutra du Lotus, ce qui est normal pour un temple d'obédience Tendaï, et l'on récite le nom du bouddha Amita.

    Toutefois, Rencho traverse une crise spirituelle aiguë, car il ne trouve pas dans l'enseignement qui lui est prodigué les réponses aux questions fondamentales qui l'assaillent. Ses interrogations sont de deux types et, sous différentes formes, elles se sont posées à tous les grands penseurs du bouddhisme. Tout d'abord, alors que chaque école prétend exposer l'enseignement originel du Bouddha, étayant tout un argumentaire en ce sens et se fondant sur les sutra et les traités, leurs doctrines sont assez divergentes. Deuxièmement, le bouddhisme s'est répandu pleinement dans la société et pourtant les désastres et les malheurs se succèdent. Il se jure de devenir l'homme le plus sage du Japon et d'étudier jusqu'à résoudre ses doutes. De ses écrits, il apparaît que diverses expériences l'ont poussé à douter très tôt de l'amidisme.

    Quand il a dix-sept ans, le maître Dozen l'autorise à se rendre à Kamakura, siège du gouvernement militaire. Il y reste deux ans et étudie les nouvelles écoles du bouddhisme : l'amidisme et le zen. Leurs doctrines ne permettent pas de satisfaire sa quête. Il revient au monastère Kiyozumi et rédige le premier traité que nous connaissons de lui, puis repart étudier les enseignements du Tendaï au mont Hiei, centre prestigieux où subsistaient encore les traditions de cette école malgré l'agitation de ses féroces moines armés. 

   Durant dix ans, il étudie avec acharnement et se rend dans les centres d'enseignement du bouddhisme, notamment dans la capitale impériale, Kyoto, et dans l'ancienne capitale, Nara. Ce jeune moine avide de savoir et issu d'une famille pauvre et d'une région reculée devait être assez atypique dans les centres du savoir qu'étaient les monastères de la capitale. Il s'intéresse également à la religion shinto et au confucianisme. Pourtant, il déplore l'état du monde religieux de son époque, la diversité des interprétations et le manque d'unité du courant bouddhique. Il fait vœu de réaliser l'éveil pour restaurer le vrai bouddhisme et dégage des doctrines originelles du Tendaï la prééminence absolue du Sutra du lotus sur les autres enseignements.

    Après plus de quinze années d'études approfondies et de pérégrinations, au terme d'une quête sans relâche, Nichiren résout enfin les questions qui le hantaient. Il décide de revenir à son point de départ pour révéler le contenu de son éveil. Vu la dégradation du monde religieux, il en redoute les conséquences : "Je le sais. Si je ne le dis pas, cette vie sera sans difficulté, mais dans la vie prochaine je serai inexorablement voué à l'enfer sans rémission. Si je le dis, trois obstacles et quatre démons surgiront à l'envie. Dans cette alternative, je dois parler" (Traité qui ouvre les yeux, 開目鈔, Kaïmoku sho).

    D'après la tradition, à l'aube du 28e jour du quatrième mois de la cinquième année de l'ère Kencho, 建 長, (1253), d'une hauteur face à l'océan, il proclame Namu Myohorenguékyo ; il se rend ensuite au monastère de Kiyozumi (清澄 寺) où un auditoire qui rassemblait des moines, des notables et des paysans, attendait son prêche et le récit de ses voyages. Il leur exprime alors la suprématie du Lotus et l'invocation de son Titre, puis s'en prend avec véhémence aux écoles existantes du bouddhisme. Chez certains la stupéfaction fait place à la colère. Cette date est reconnue comme fondation par les diverses écoles du nichirenisme.

    Il prend le nom de Nichiren (日蓮"Soleil-Lotus"). L'origine de ce nom viendrait de deux passages du Sutra du lotus. Dans le premier d'entre eux (chapitre XXI) il est fait allusion à la clarté du soleil et de la lune qui dissipent les ténèbres et, dans le second (chapitre XV), le lotus symbolise la pureté.

    Ses parents sont les premiers à se convertir à la nouvelle école. Il aide une de ses premières disciples, Nagoe no ama, dans une procédure juridique qui l'oppose à un officiel local Tojo Kagenobu qui est également un fervent amidiste. Les moines du Kiyozumi tendent à soutenir l'une ou l'autre des parties et bien que le procès tourne en faveur de la disciple de Nichiren, ce dernier doit partir et se rend à Kamakura. Là il continue de dénoncer les voies dans lesquelles le bouddhisme s'est égaré. Les premiers disciples le rejoignent surtout issus des milieux monastiques du Tendaï ou de la classe des samuraï. Citons son ancien condisciple Nissho et son neveu Nichiro ou Shijo Kingo et Toki Jonin qui reçoit, en 1255, le traité En une vie devenir le Bouddha (一生成佛鈔, Issho jobutsu sho).

     En 1256, Kamakura, ravagée deux ans plus tôt par un incendie, est frappée par un typhon suivi d'un raz de marée. Les épidémies se multiplient et la famine s'abat sur le pays. L'année suivante, la capitale est partiellement détruite par le violent tremblement de terre de l'ère Shoka (正 嘉). Les calamités se succèdent durant plusieurs années.

    Nichiren voit dans ces désastres la rétribution de l'opposition au Sutra du lotus. Il décide de se rendre à Iwamoto, au temple de l'Aspect réel (Jisso ji), célèbre pour sa bibliothèque qui renferme l'ensemble du canon bouddhique. Il veut, en effet, juger des évènements à la lumière des écrits. Il rédige alors les traités qui fourniront les fondements doctrinaux de la nouvelle école notamment Les dix Ainsi (如是, Ju nyozeji) et Le principe d'Une pensée trois mille (一念三千理事, Ichinen sanzen riji) . Il maîtrise et revivifie les doctrines originelles de l'école Tiantai. Il prend en note ce qui fournira ultérieurement les citations et le matériau de nombreuses œuvres futures et tout particulièrement du Traité sur la pacification du pays et l'établissement de l'orthodoxie (立正安國論, Rissho ankoku ron). Un jeune moine devient son disciple, il s'appelle Hoki bo (伯 耆房) et, plus connu ensuite sous le nom de Nikko (日興), il l'aide dans ce travail considérable de compilation des sources.

    Les désastres naturels continuent de frapper le Japon et Nichiren, qui a achevé ses recherches dans les écritures, fait remettre à l'ancien régent du shogounat Hojo Tokiyori (北条時頼, 12227 - 1263) le Traité sur la pacification du pays et l'établissement de l'orthodoxie (Rissho ankoku ron, 1260). Dans ce texte aux accents prophétiques, il appelle les dirigeants laïcs et religieux à se convertir au Lotus pour le salut du pays. Il voit dans les malheurs successifs qui provoquent la misère du peuple, le résultat de la croyance dans des doctrines erronées issues de la dégénérescence dans laquelle le bouddhisme est tombé.

    Nichiren entame plusieurs débats avec des prêtres amidistes renommés. Ils ont du mal à parer les arguments de ce moine jusqu'alors inconnu. Leur ressentiment s'accroît et finalement une bande de zélateurs de l'amidisme attaque sa chaumière de Matsubagayatsu et l'incendie (1261). Ils ne parviennent pas à tuer Nichiren qui se réfugie chez son disciple Toki Jonin.

    Les persécutions continuent et, à l'instigation de religieux amidistes qui décidément semblent lui en vouloir, il est arrêté puis condamné à être exilé sur la péninsule d'Izu.  Les habitants se montrent relativement hostiles envers ce moine condamné à l'exil mais un pêcheur le secourt et on lui demande de prier pour le seigneur local qui est gravement malade. Guéri et impressionné par ce moine, celui-ci se convertit et lui offre la statue du bouddha Shakyamuni qui accompagnera Nichiren durant tout le reste de son existence.

    Gracié après deux ans d'exil, Nichiren, âgé de quarante et un ans, revient à Kamakura où le nombre de ses disciples a sensiblement augmenté. Nichiren doit retourner dans sa province natale d'Awa car la santé de sa mère s'est considérablement altérée. Il prie pour qu'elle guérisse et, effectivement, elle parvient à recouvrer la santé. Au retour il est attaqué par une bande d'hommes armés réunis par Tojo Kagenobu qui décidément ne l'avait pas oublié. Un disciple est tué, plusieurs, dont Nichiren, sont blessés.

    Durant les quatre années suivantes, Nichiren écrit et voyage pour encourager les nouveaux croyants.

    En 1268 l'empire mongol du Khan Kublai qui a déjà conquis la Chine et la Corée adresse une lettre aux autorités du Japon leur enjoignant de devenir ses vassaux. Nichiren, qui dans le Traité sur la pacification du pays et l'établissement de l'orthodoxie (Rissho ankoku ron) avait prédit l'attaque d'une puissance étrangère, chose unique au Japon à l'époque médiévale, voit ses dires confirmés. Il adresse des lettres à des officiels et des religieux de haut rang et les somme de se rendre aux arguments exposés huit ans plus tôt.

    L'année 1271 voit le paroxysme de l'antagonisme que les autorités nourrissent à l'égard de Nichiren. Il s'était attiré la haine de Ryokan un moine influent d'alors, notamment après l'affaire des prières pour la pluie. Durant l'été 1271, une terrible sécheresse s'était abattue sur le Japon laissant craindre une famine de grande ampleur. Les autorités avaient demandé, comme cela se faisait alors, aux moines de prier pour la pluie. Ryokan fit de nombreuses prières qui n'amenèrent pas la pluie. Nichiren se moqua de lui et lui écrivit que, si en sept jours il amenait la pluie, Nichiren deviendrait son disciple. Ryokan qui ne parvint pas à faire pleuvoir en fut probablement vexé et une instruction fut menée à l'encontre de Nichiren. Il lui était reproché la destruction de statues bouddhiques et de fomenter une insurrection. Ces deux accusations, bien que non fondées, montrent les griefs et les peurs que Nichiren et ses disciples inspiraient. Ils ne manifestaient pas de dévotion envers les bouddha révérés dans les temples tels Amita ou Vairocana et ne révéraient que le bouddha Shakyamuni. De plus, ce moine, entouré de nombreux samurai ou guerriers convertis à ses doctrines, pouvaient sembler un danger potentiel.

    Convoqué pour comparaître, Nichiren s'attire la haine d'un officiel de haut rang le saemon (Garde de gauche des portes) Hei no Yoritsuna par des critiques répétées à propos du culte d'Amita. De plus, après comparution, il lui fait porter une copie de son Traité sur la pacification du pays et l'établissement de l'orthodoxie (Rissho ankoku ron), probablement en espérant que cela le convaincrait. Mais le résultat fut inverse.

    Nichiren note, non sans humour, que sous le règne d'un roi vertueux, un sage qui aurait fait des prédictions aussi justes que celles qu'il avait faites, aurait été honoré et récompensé mais que dans son cas, contre toute attente, la réalisation de ce qu'il avait prévu ne lui a amené que de la haine et des ennuis. Quelques jours plus tard on s'emparare de lui et il semble qu'il ait été condamné à l'exil mais que Hei no Yoritsuna ait décidé de le faire exécuter. Le 12 du neuvième mois, sur la plage de Tatsunokuchi, lieu de l'exécution, il réchappe par miracle, au dernier moment, à la décapitation. Cet épisode, consigné par la suite dans ses mémoires, nous montre Nichiren amené de nuit sur les lieux de son exécution, la plage de Tatsunokuchi (la Gueule du Dragon) prendre à partie les divinités tutélaires du Japon qui, rompant leur serment, permettent que le pratiquant du Sutra du lotus soit mis à mort. Au moment fatidique, l'apparition d'un corps céleste lumineux aveugle le bourreau et terrorise l'assistance.

    On renonce à le tuer, il est assigné à résidence durant un mois puis déporté à Sado. Même si le futur semble incertain, la jeune communauté nichireniste sort renforcée de ces évènements. Les croyants ont tenu bon ; certains, bravant les autorités, ont accompagné leur maître jusque sur le lieu de l'exécution ou, comme Shijo Kingo, ont promis de se suicider si leur maître était décapité. Par la foi dans le Sutra du lotus Nichiren a éveillé en eux une conviction que les autorités ne peuvent supprimer.

    Pour Nichiren, l'exécution de Tatsunokuchi met fin à son existence terrestre et lui permet de s'affranchir de tous les liens pour révéler son identité réelle. "L'an passé le douze du neuvième mois, entre l'heure du rat et celle du bœuf, un homme nommé Nichiren a été décapité. Son âme est parvenue au pays de Sado. Ses disciples les plus proches ont été effrayés de ce qu'il leur a écrit au beau milieu de la neige. Il n'y a pas lieu cependant d'être troublé ; il ne s'agit là que du clair miroir que Shakya, Maints-Trésors et les bouddha des dix directions nous ont révélé, mais transposé dans le Japon actuel. Cela doit être considéré comme le legs" (Traité qui ouvre les yeux, Kaïmoku sho). Cet extrait montre bien le changement opéré en Nichiren après l'exécution manquée de Tatsunokuchi. Comme une deuxième naissance, il est affranchi des liens de son existence passée et se révèle sous un autre jour auprès de tous. Ses disciples qui le connaissent bien en sont surpris. On doit noter que c'est de cette période qu'il commence d'écrire des Honzon, mandala sur parchemin où se révèle sa vision de l'illumination et qui deviennent objets de vénération pour ses disciples.

    Nichiren a quarante-neuf ans. Dans le climat rigoureux de l'île de Sado, il est assigné à résidence dans la chapelle en ruine d'un cimetière désolé. Il survit difficilement mais réussit à gagner à sa cause de nouveaux fidèles qui lui portent assistance. Certains moines de cette île veulent entreprendre un débat religieux avec lui, mais ils sont désarçonnés par cet orateur hors du commun.

    En 1272 le demi-frère du régent, Hojo Tokisuke, fomente une rébellion pour prendre le pouvoir. Des combats ont lieu à Kamakura et Kyoto qui tournent au désavantage des instigateurs de ce coup d'état. Les prédictions du Traité sur la pacification du pays et l'établissement de l'orthodoxie (Rissho ankoku ron) concernant des luttes intestines se réalisent. Nichiren est transféré à Ichinosawa, toujours dans l'île de Sado. Ses conditions sont quelque peu meilleures.

    Pendant les deux ans et demi où il demeure à Sado, il rédige les traités fondamentaux de son école, notamment le Traité qui ouvre les yeux (Kaimoku sho) et le Traité sur le Vénéré fondamental que révèle l'examen du cœur (Kanjin no honzon sho). Il entretient également une correspondance fournie avec nombre de disciples.

    Au deuxième mois de l'année 1274, le régent Hojo Tokimune révoque l'édit de bannissement et l'exilé peut regagner Kamakura. Les autorités craignent plus que jamais l'attaque des troupes mongoles. Nichiren est convoqué et rencontre une dernière fois Hei no Yoritsuna qui l'interroge à ce sujet. Nichiren a beau lui répéter que seule la foi dans le Lotus pourra sauver le pays, il n'est pas entendu.

    Cette troisième remontrance, comme les précédentes, étant restée sans effet, trouvant judicieuse la tradition confucéenne selon laquelle un sage dont les conseils ont été par trois fois rejetés peut délaisser les puissants,  il décide un mois plus tard de se retirer dans les abords sauvages du mont Minobu, afin de méditer sur son action passée et préparer les fondements de son école pour le futur.  L'un de ses disciples, Hakiri Rokuro Sanenaga (1222 - 1297), intendant domanial (jito) de terres comprenant trois villages dans cette région lui avait proposé de lui fournir un ermitage. Jusqu'à la fin de la vie de Nichiren, ce disciple le protègera et permettra, qu'après une vie aventureuse et mouvementée, Nichiren puisse se consacrer aux fondations de son école et à ses disciples, dans cette région sauvage et montagneuse que finalement il apprécie beaucoup.

    Il rédige de nombreux traités où s'affirme l'importance du Honzon dans la pratique de son bouddhisme. Après une existence tumultueuse, dans le calme et la sérénité de cette région de montagnes et de forêts, il délivre, par des cours que ses disciples consignent, sa vision détaillée du Sutra du lotus. Il écrit le Traité du choix du temps (Senji sho) en 1275 puis le Traité de reconnaissance (Hoon sho) à la mort du vieux maître de son enfance, le moine Dozen en 1276.

    Ses disciples, dans plusieurs régions continuent la propagation non sans rencontrer parfois un fort antagonisme. Notamment dans la région du mont Fuji, sous l'impulsion de Nikko, la nouvelle foi s'est propagée, notamment auprès de paysans. En 1279, dans le village d'Atsuhara, vingt d'entre eux sont arrêtés et torturés. Ils refusent d'abjurer leur foi. Trois d'entre eux seront finalement exécutés. Nichiren suit les événements avec attention. Le sacrifice dramatique de ces nouveaux adeptes prouve que la foi dans le Lotus s'est implantée dans le peuple et que les autorités malgré leur brutalité ne pourront l'extirper. Il écrit un mois après "... quoiqu'il en soit, abandonnez votre vie à la cause du Sutra du lotus. Considérez cela comme faire pénétrer la rosée dans l'océan ou se déposer une poussière dans la terre" (Réponse au seigneur de Ueno, la Porte du Dragon).

    Il parachève son enseignement par quelques textes majeurs, dont L'infirmation et la confirmation que les bouddha des trois phases jugent bon d'effectuer au sein du corps des enseignements (Sanze shobutsu sokamon kyoso hai ryu) (1279).


    Au neuvième mois de 1282, ses disciples l'incitent à quitter sa retraite du mont Minobu pour se rendre aux sources chaudes d'Hitachi. La santé de Nichiren soumise à de dures épreuves s'était considérablement affaiblie. Epuisé, il doit s'arrêter en cours de route chez ses disciples d'Ikegami (dans l'actuelle banlieue de Tokyo). Il dispense à nouveau l'enseignement contenu dans son Traité sur la pacification du pays et l'établissement de l'orthodoxie (Rissho ankoku ron), et nomme six principaux moines, à qui il remet les destinées de l'école.  Entouré de ses disciples, il s'éteint paisiblement le matin du treizième jour du dixième mois.

Cette biographie rend compte des évènements de la vie de Nichiren. Comme je l'ai dit au début, les principales sources que nous ayons, en dehors de ses propres écrits, sont apocryphes. J'ai assez peu mentionné la pratique d'inscription de Honzon, qui à partir de l'exil de Sado semble avoir été une constante de son activité. Il reste encore de très nombreux mandala inscrits par Nichiren et je ne connais pas d'étude en français sur ce sujet. Pourtant ces représentations graphiques qu'il qualifie de loi ésotérique semblent avoir été un vecteur fondamental de l'expression de sa spiritualité.

SUITE : Nichiren et la dévotion au Sutra du lotus

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