Galerie des Gohonzon inscrits par Nichiren
 
 
 
 
#78
 
 

Date d'inscription :

3e année de Kōan (1280), 3e mois. La date est écrite en bas à gauche, à droite de la formule qui indique le récipiendaire.

Récipiendaire :

C'est malheureux mais le second caractère du nom bouddhique du récipiendaire a été effacé ... Nous pouvons juste lire : Conféré à Nichi (?) (日?授与之). Ce qu'il reste du nom est inscrit dans le coin en bas à droite.

Phrase d'hommage :

Durant plus de 2220 ans après l’extinction du Bouddha, dans tout le Jambudvīpa, jamais ce grand mandala n’apparut (佛滅度後二千二百二十余年之間一閻浮提之内未曾有大漫荼羅也). Phrase inscrite en bas à droite sur 6 colonnes entre la fin du nom du Roi de Lumières Immuable et le kaō-signature de Nichiren.

Ajout :

-

Dimensions (cm) & nombre de lés :

53,6 x 32,2 - 1 lé. Selon les sources que l'on consulte, on peut trouver des dimensions légèrement différentes.

Nom usuel :

-

Lieu de dépôt actuel :

Myōhokkeji, Mishima-shi.

Style :

Restreint.

Contenu scriptural :

1. Les quatre grands rois du ciel n'apparaissent pas. Les deux Rois de Lumières sont à leur place habituelle : Amour à gauche et Immuable à droite, écrits dans un trait assez épais mais élégant et ils marquent presque toute la hauteur du gohonzon.

2. Colonne centrale : Namu Myōhōrenguékyō et tout en bas Nichiren-kaō.

3. Étage supérieur : tous les noms des personnages sont précédés de Namu. En partant du centre à gauche : Shakamuni butsu, Jōgyō bosatsu (bodhisattva Pratique-Pure), Anryūgyō bosatsu (bodhisattva Pratique-Pacificatrice). Et à droite, toujours en partant du centre : Tahō nyorai, Jōgyō bosatsu, Muhengyō bosatsu (bodhisattva Pratique-Illimitée).

4. Étage médian : nous trouvons juste cinq divinités.
À gauche en partant du centre : le grand roi Shakudaikanin (Indra) et le roi céleste Grande-Lune.
À droite en partant du centre : Daibontennō, Daïrokutenmaō, Daïnittennō (大日天王, le roi céleste Grand-Soleil).

5. Étage inférieur : à gauche les dix ogresses et en vis-à-vis à droite leur mère Kishimojin. Elles sont situées sous les traits du kyō (經) du Titre.

6. Un peu en dessous, décalés du centre : à gauche Namu Dengyō daishi et à droite Namu Tendaï daishi.

7. Plus bas encore, en dessous des dix ogresses : Hachiman dai bosatsu ; et en dessous de Kishimojin : Tenshō daïjin.

Particularités graphiques :

Il s'agit là d'un gohonzon probablement de type omamori (talisman protecteur). Il a toutefois de nombreuses particularités, notamment le Daïmoku d'une taille assez restreinte. Comme personnages nous ne trouvons que les bouddha Shakamuni et Maints-Trésors, les quatre bodhisattva de la conversion originelle, quelques divinités, les dix ogresses et leur mère. La conception générale est harmonieuse et légère.

Remarques :

Le fait que le nom du récipiendaire ait été en partie effacé et qu'il n'en subsiste que le premier caractère Nichi, qui est commun à beaucoup de noms bouddhiques (日号, nichigō) attribués à des croyants laïcs ou religieux, rend impossible son identification.

Ce gohonzon est construit sur le même cannevas que le #75 ou les gohonzon #94 à #96. Tous ont été composés durant la 3e année de Kōan (1280). Ces gohonzon semblent donc illustrer une forme aboutie de représentation pour des mandala individuels. Que nous enseignent ces gohonzon très abrégés ? L'essentiel. La forme est condensée à l'extrême et empreinte d'élégance dégageant une une impression aérienne et un peu flottante qui illustre bien l'élévation dans les airs telle que décrite au chapitre Vision du précieux stupa. Mais regardons ce qui est écrit et l'expression de la graphie.

Tout d'abord, au centre le Titre. Il illumine l'ensemble de la représentation. Il en constitue la centralité intérieure. Ce caractère est particulièrement bien rendu et d'une façon un peu paradoxale ici, en ce sens où sa taille, relativement petite comparée à d'autres gohonzon (#52 par exemple), semble à la fois condensée mais dans un mouvement d'expansion qui s'exprime dans les derniers traits de chacun des idéogrammes. Les coups de pinceau qui marquent les derniers traits de myō (妙) ou de ren (蓮) notamment illustrent bien cela. Le trait horizontal qui termine la partie basse de ren (蓮) s'élance jusqu'à la limite du bord droit - et même au delà semble-t-il -.

Comme presque toujours, la partie haute du Titre est entourée des deux bouddha Shakamuni et Tahō et des quatre bodhisattva de la conversion originelle. Outre le rôle fondamental imparti à chacun d'entre eux, ils marquent également la continuité du temps depuis le passé le plus lointain. Le passé pour l'Ainsi-venu Tahō, le présent pour le buddha Shakyamuni, le passé et le futur pour les quatre bodhisattva - le passé parce qu'ils ont été formés dans un temps très ancien et le futur parce que c'est à eux qu'est confiée la loi bouddhique pour les temps à venir -. Nous verrons notamment à propos des deux Rois de Lumières que la dimension temporelle sous-tend la structure de la représentation du gohonzon, - de même qu'elle sous-tend nos exsitences -.

Les dieux représentés sur ce type de gohonzon marquent les croyances les plus anciennes de l'humanité. Si nous regardons 'l'étage médian', nous en trouvons de trois sortes : les dieux antiques de l'Inde (Brahma et Indra), les dieux représentant les corps célestes qui ont toujours été l'objet de la contemplation des hommes sur Terre (le roi céleste Grande-Lune et le roi céleste Grande-Soleil) et enfin un dieu très spécifique, le Roi-démon du sixième ciel qui règne sur le monde des désirs et empêche de s'y soustraire. Dans les textes anciens ce personnage était également assimilé avec un autre dieu, Yama, le roi des enfers, avec parfois une fonction de juge des âmes des morts. Le choix de ces divintés, issues d'époques différentes, montre le divin dans cette représentation de la pensée qu'est également le gohonzon (觀心本尊, kanjin honzon).
Toujours en ce qui concerne les divinités, bien plus bas nous trouvons les divinités tutélaires du Japon : Tenshō daïjin et Hachiman dai bosatsu. Elles ne sont pas situées au même niveau que les dieux 'étrangers' qui assistaient à la cérémonie de l'enseignement du Lotus. Elles sont pourtant une autre illustration du divin mais qui est propre aux anciennes croyances du Japon. Elles n'ont donc pas la même universalité que les dieux de l'Inde antique mais montrent plutôt une survivance de croyances locales très anciennes qui entrent dans le rapport et la vision de l'homme avec la terre où il vit.

Les dix ogresses et leur mère la Déesse Mère des Enfants Démons non seulement représentent le monde des esprits affamés mais surtout elles sont une trace du bouddhisme ésotérique influencé par les pratiques magiques. Ces ogresses qui se nourissent de la vie d'autrui ont des équivalents dans la plupart des croyances religieuses. Heureusement, converties à la loi bouddhique, leur force insatiable peut être employée pour protéger et non pour détruire. Mais elles gardent dans leur nom une ambiguité qui associe à la fois puissances destructrices et protectrices. Ainsi la Déesse Mère des Enfants Démons associe dans cette appellation des couple mots antinomiques : Déesse / Démons, Mère / Enfants. C'est de ces antagonismes que naît leur puissance. Elles viennent donc témoigner sur le gohonzon de la puissance des forces destructrices converties et s'ajoutent aux divinités qui forment l'imaginaire de tous les peuples.

On n'accorde peut-être pas assez d'attention à la phrase d'hommage parce qu'on la retrouve presque à chaque fois dans la même formulation : "Durant plus de 2220 ans après l’extinction du Bouddha, dans tout le Jambudvīpa, jamais ce grand mandala n’apparut". On voit bien cependant que sur ce type de gohonzon elle emplit une place conséquente. Elle vient signifier l'importance fondamentale de ce mandala et sa singularité. Elle souligne également l'évènement unique que représente sa création et elle le replace dans la tradition bouddhique. Elle s'adresse directement à celui qui contemple le gohonzon pour rappeler la longue histoire de la loi bouddhique jusqu'à son aboutissement.

Le kaō provient de la Chine des lettrés, c'est un monogramme stylisé et personnel issu de l'écriture ou du dessin. Il est inventé par celui qui l'utilise, les plus grands calligraphes se sont essayés à cette pratique produisant des résultats parfois fascinants. Il se substitue à la signature ou au sceau. Le kaō-signature de Nichiren a considérablement évolué depuis les premiers honzon. Au début il s'agissait de deux signes différents et distincts (par exemple les gohonzon de l'ère Bun-eï (#24) ou d'une partie de l'ère Kenji (jusqu'à #32a pratiquement). Le kaō de Nichiren proviendrait à la fois de lettres de l'alphabet siddham et des caractères kyō (經) puis myō (妙) du Titre (cf. Il mandala nella tradizione del Buddhismo Nichiren, Prima parte, p. 32, Luigi Finocchiaro). Il finit par se superposer à la signature créant de la sorte un ensemble graphique très reconnaissable. Il a donc une fonction d'authentification tout en étant une marque laissée par le signataire représentant sa propre identité. En ce sens, dans les gohonzon ou le kaō-signature de Nichiren s'inscrit dans la continuité du Titre il révèle l'unicité de la personne et de la loi (人法一箇, ninpō ikka).
Dans cette série de gohonzon (#78 à #80) le kaō-signature de Nichiren est assez grand (surtout #80) et, tenant tout le bas du gohonzon, il incarne la présence de son auteur.

Les deux Rois de Lumières, tellement prépondérants ici, marquent les deux pôles de toute vie : d'un côté Amour et de l'autre Immuable. C'est-à-dire Amour, la force originelle de la vie, de la reproduction et des désirs et d'autre part, Immuable, le destin de l'existence, qui résulte des actes du passé, et la fin de cette existence. Ces deux puissances se complètent et interagissent pour donner corps et devenir au vivant. Trop souvent pour ces deux divinités que sont les Rois de Lumières, c'est-à-dire de sciences, de savoir, on s'en tient à l'interprétation selon laquelle elles incarnent respectivement les principes bouddhiques les passions s’identifient à l’éveil et les vies et morts s'identifient au nirvana. Cela est vrai et ces principes sont très riches et, d'une certaine manière, propres au bouddhisme du Lotus. Mais pour commencer à entrevoir la signification de ces principes, on ne doit pas oublier ce que ces personnages représentent comme forces considérables pour le vivant : la puissance des passions, et en premier lieu de l'amour, et le poids des évènements liés aux actes (karman) et la mort.
Il faut bien considérer les raisons qui font que, notamment sur un gohonzon réduit à l'essentiel comme celui-ci, ces deux Rois de Lumières aient une telle importance et soient les plus grandes inscriptions. Avant d'envisager leur interaction, nous devons tenter de mieux appréhender leurs caractéristiques respectives. Souvent nous avons tendance à les considérer dans une approche psychologisante, par exemple les rapprocher de concepts comme Éros pour Amour et Thanatos pour Immuable, pulsion de vie et pulsion de mort, etc. C'est très réducteur, car ces deux principes sont considérés dans leur interaction comme le processus créateur de l'ensemble du vivant (pas seulement des hommes).
Tout d'abord Amour. Si nous considérons une représentation usuelle, nous voyons cet homme rouge, parfois entouré de flammes, et dont le corps avec ses multiples attibuts exprime à la fois la puissance et la fureur. C'est la force des désirs et leur prégnance. Ces désirs dépassent le strict cas individuel, notamment la reproduction c'est-à-dire la perpétuation de l'espèce. Cela vaut pour toutes les sortes d'êtres. Au delà de ce que peut ressentir l'individu, des représentations qu'il a élaborées, ce désir est bien plus ancien que lui-même, il l'a amené à la vie, il le pousse à perpétuer l'espèce, même si ce n'est pas ainsi qu'il conçoit les choses.
Dans le bouddhisme, à propos du Roi de Lumières Amour, on considère d'un point de vue humaniste que la rage qui habite ce personnage est une forme de colère contre les erreurs causées par les passions qui empêchent d'accéder à l'Éveil et que paradoxalement sa puissance permet d'éclairer les passions (les passions s’identifient à l’éveil).
L'Immuable est représenté comme un homme massif, souvent noir et entouré de flammes. Il tient une épée et une pièce de tissu. Comme son nom l'indique, il représente ce qui est inéluctable, c'est-à-dire dans la doctrine bouddhique, ce qui dépend de la loi du karma : les actes anciens pas encore rétribués. Comme nous l'avons vu pour le Roi de Lumières Amour, là encore c'est quelque chose qui dépasse complètement l'individu en ce sens où ces actes ont été commis dans une existence antérieure dont on ne garde aucun souvenir.
Dans le bouddhisme, on apprécie toutefois sa puissance considérable dont l'utilisation permet de vaincre les obstacles nombreux qui empêchent de concevoir l'Éveil et donc de se départir du cycle des naissances et des morts (les vies et morts s'identifient au nirvana).
Nous voyons que ces Rois de Lumières incarnent des forces à proprement parler inimaginables, et que leur interaction est la manifestation même de tout le vivant. Ils sont intrinsèquement liés au processus temporel que ce soit dans la continuité de la vie sous la perpétuation et la modification des espèces ou dans le devenir de chaque vie selon la loi karmique.

Ainsi, ces deux Rois de Lumières, sur de très nombreux gohonzon et particulièrement sur ceux de cette série, occupent une place remarquable. Ils sont éclairés par la lumière du Titre et ainsi usant des forces constitutives de l'existence aident à résoudre la souffance inhérente à celle-ci.

Les collections du temple Myōhokkeji à Mishima-shi abritent trois autres mandala : #37, #62, et #101

 
 
 
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